Réserve Fédérale américaine : La Fed maintient son taux d’intérêt de référence entre 5,25 % et 5,5 %. Et ensuite ?

Le mercredi 20 septembre dernier, le Federal Open Market Committee (FOMC) et le président de la Réserve Fédérale américaine Jerome Powell, ont opté de manière unanime (lors de leur rencontre sur une durée de deux jours) de maintenir leur taux directeur de référence, à savoir le federal funds rate dans une fourchette de 5,25 % à 5,5 % (la plus forte hausse du taux depuis 22 ans). Le président de la Fed, lors de son habituelle conférence post-meeting a précisé que le FOMC et lui allaient maintenir la politique de taux en attendant les futures données sur l’économie américaine. La Fed serait donc en « Wait and See Mode » d’après Gabriel T. Rubin, un journaliste du Wall Street Journal.

Federal Funds Effective Rate(%), Federal Funds Target Range - Limite supérieure (%), Federal Funds Target Range - Limite inférieure (%)

On pouvait plus ou moins s’y attendre. En effet le Consumer Price Index All Urban Consumers (CPI-U) (indice des prix à la consommation) a augmenté de 0,6 % en août (après ajustement de la saisonnalité) qui faisait suite à une augmentation de l’inflation de 0,2 % en juillet d’après le Bureau of Labor Statistics des États-Unis. Et sur les 12 derniers mois, le taux d’inflation en août 2023  (en prenant tous les produits) a augmenté de 3,7 % (avant désaisonnalisation) par rapport au 3,2 % du mois de juillet 2023. Cette augmentation est due principalement à une hausse du prix pétrole et du logement, l’indice du prix de l’essence étant celui ayant qui a le plus contribué à l’augmentation mensuelle de l’ensemble de l’inflation. Quant à l’indice des prix du logement, il a augmenté pour la 40ème fois consécutive. L’évolution mensuelle de l’indice des prix PCE (Personal Consumption Expenditures Price Index ou dit indicateur de l’augmentation moyenne des prix pour l’ensemble de la consommation personnelle intérieure américaine) (*), l’indicateur d’inflation le plus surveillé et plus scruté par la Réserve Fédérale américaine (sur lequel elle se base pour prendre sa décision vis-à-vis de l’ajustement de son taux d’intérêt directeur de référence) semble confirmer la baisse de l’inflation aux États-Unis. Actuellement à 3,3 % (juillet 2023), l’indice PCE subit une baisse depuis avril 2023 et se rapproche sensiblement des 3 % depuis le mois de juin par rapport au mois de juillet 2022 (où ce même indicateur était de 6,8 %). Cela indiquant un ralentissement de l’évolution des prix des biens et services achetés par les consommateurs aux États-Unis. Pour l’instant que ça soit le Core CPI (indice des prix à la consommation sous-jacent) à un niveau de 4,3 % en août, l’Headline CPI (indice des prix à la consommation) à un niveau de 0,6 % en août 2023, ou Core PCE qui est actuellement à 3,3 %, aucun n’a encore atteint la cible d’inflation de la Federal Reserve qui se trouve à 2 %.

(*) L'indice des prix PCE, également appelé déflateur PCE, est un indicateur de l'augmentation moyenne des prix pour l'ensemble de la consommation personnelle intérieure à l'échelle des États-Unis. L'impact sur la monnaie peut aller dans les deux sens : une hausse du PCE peut entraîner une hausse des taux d'intérêt et une hausse de la monnaie locale ; d'autre part, en période de récession, une hausse du PCE peut entraîner une aggravation de la récession et donc une chute de la monnaie locale.

Taux d’inflation annuel U.S. (%)

Depuis mars 2022, la Fed mène l’une politique monétaire la plus agressive depuis des décennies pour réduire la demande des consommateurs et des entreprises dans le but de lutter contre les pressions sur les prix qui sont bien plus persistantes que prévues. Dans un communiqué le FOMC a déclaré qu’elle restait attentive aux risques d’inflation et que l’activité économique avait progressé à un « rythme solide » avec des créations d’emplois qui restaient fortes malgré le fait qu’elles aient ralenti récemment. Le taux de croissance du PIB réel qui était à 2,1 % au deuxième trimestre 2023, va tout au plus s’y maintenir (2,3 %) ou performer (4,9 %) d’après deux prévisions respectives de la Réserve Fédérale de New York (New York Nowcast) et de la Réserve Fédérale d’Atlanta (Atlanta Fed GDPNow).

Taux de croissance annuel des États-Unis

Côté marchés financiers, le rendement de l’obligation du Trésor américain à deux ans (qui évolue en fonction des orientations de la politique monétaire de la Fed), a atteint son plus haut niveau depuis 2006, 5,118 %, à la suite de la déclaration de la banque centrale américaine. Quant aux indices boursiers, ils ont chuté après le meeting du FOMC, le Dow Jones Industrial Average était en baisse de 77 points, soit 0,2 % et le S&P 500 de 0,9 %.

Mais que va donc être la décision de la Fed lors du prochain meeting du FOMC en fin octobre ? Augmenter son taux d’intérêt directeur, le maintenir ou le baisser ?

Lors de l’habituelle conférence de presse, le président de la Fed Jerome Powell avait déclaré que la décision de maintenir des taux d’intérêt directeurs stables ne signifiait pas que les autorités monétaires avaient conclu que l’actuelle politique monétaire était suffisamment restrictive pour maîtriser l’inflation. De plus en faisant références aux nouvelles projections de taux d’intérêt directeurs, il a ajouté que lui et les participants du FOMC augmenteront probablement une fois de plus leur taux de référence lors des deux réunions restantes cette année.

Depuis ce meeting, un débat c’est ouvert entre acteurs des marchés financiers, analystes et économistes. Certains pensent que la Fed a fini d’augmenter son taux de référence, qu’elle projetterait de le baisser et que le maintien du federal funds rate dans la fourchette de 5,25 % à 5,5 % ne serait qu’une stratégie des autorités monétaires pour éviter de baisser trop rapidement le taux. D’autres pensent qu’il y aurait une augmentation vu la forte incertitude économique (Guerre en Ukraine) ce qui permettrait d’anticiper une hausse probable des prix à la consommation ainsi que d’éviter une forte récession économique. Enfin il y a ceux qui sont plus pessimistes en invoquant une très forte hausse du taux d’intérêt directeur sur long terme.

Au départ il était prévu que les taux d’intérêt baisseraient progressivement en 2024 puis en 2025 pour atteindre (d’après les projections du FOMC) 3,4 %, mais à l’issue du meeting du 20 septembre dernier, les responsables de la Réserve Fédérale ont surpris les marchés en signalant qu’ils ne baisseraient pas autant que prévu le federal funds rate. Dans les projections et commentaires du FOMC, certains responsables de la Fed laisseraient entendre que les taux pourraient rester plus élevés plus seulement pour longtemps mais pour toujours. De plus alors que plusieurs experts supposaient que la Réserve Fédérale était devenue « data dépendant » et qu’elle n’utilisait peu ou pas le taux neutre dit R-star ou « r* » pour fixer ses orientations de politiques monétaires (si le taux d’intérêt de référence est fixé en dessous du R-star, la politique monétaire est dite accommodante et si le taux d’intérêt de référence est fixé au-dessus du R-star, la politique monétaire est dite restrictive / Si les taux actuels ne ralentissent pas la demande ou inflation, le taux neutre doit normalement être plus élevé ce qui sous-entendrait que la politique monétaire n’est pas assez restrictive), ce même  taux neutre qui garderait l’inflation et le chômage stables dans le temps, serait d’après certains analystes et média économiques et financiers  en légère augmentation. D’après eux, cette hausse du taux neutre devrait expliquer pourquoi les rendements à long terme du Trésor ont fortement augmenté au cours des derniers mois et pourquoi les actions des marchés financiers américains seraient actuellement en difficulté. Mais d’après certaines estimations que j’ai pu consulté, pour l’instant le R-star ne semblerait pas augmenter fortement depuis 2021. En effet, grâce au modèle de Holston, Laubach et Williams (2023) qui fournit une estimation du R-star (cette estimation n’est pas une prévision officielle du Federal Reserve System ou du Federal Open Market Committee), on peut voir que le taux d’intérêt neutre pour que l’économie américaine soit stable serait estimer à  0,57 % au deuxième trimestre de l’année 2023, et à 0,68 % au premier trimestre de la même année et que sa plus grande valeur estimée serait de 5,68 % au deuxième trimestre de l’année 1961.  Donc si l’on se base sur ce modèle (en prenant en compte que dans l’approche de Holston, de Laubach et de Williams le R-star serait considéré comme le taux d’intérêt réel à court terme qui devrait prévaloir lorsqu’une économie est en pleine vigueur et que l’inflation est stable), le taux neutre est en légère baisse voir même proche de zéro, ce qui laisse entrevoir de nouvelles hausses de taux car un taux neutre aussi faible sous-entend que la politique monétaire de la Réserve Fédérale américaine ne serait pas assez restrictive.

Estimation du taux d’intérêt naturel ou neutre du Canada, des États-Unis et de la Zone Euro

Cette probable hausse du federal funds rate dans le temps et qui d’après certains analystes serait le nouveau paradigme instauré par la Fed, a créé un vent d’inquiétude dans les milieux économiques et financiers américains. Le président-directeur général de la banque américaine d’affaire JP Morgan Chase, Jamie Dimon, lors d’une interview donnée au Times of India a émis l’éventualité d’un taux d’intérêt directeur de la Fed qui atteindrait les 7 % avec une situation de stagflation (une croissance au ralenti et une inflation qui augmente) qui pourrait créer à terme un stress au sein du système économique et bancaire américain.

Une augmentation progressive du taux d’intérêt directeur ferait des heureux tant au niveau des épargnants, que des banques commerciales et des créanciers  à cause des taux d’intérêts élevés et donc de rendements élevés mais risquerait de pénaliser lourdement les détenteurs de prêts qui auront des taux d’intérêt plus lourd à payer et des investisseurs détenteurs de portefeuilles d’actions (qui verront la valeur de leurs portefeuilles chuter suite au ralentissement  de l’activité économique des entreprises cotées en bourse).

Il faudra donc attendre les déclarations du FOMC et Jerome Powell en fin octobre/ début novembre et en mi-décembre pour savoir si la Réserve Fédérale américaine décide d’emprunter le chemin d’une hausse sur le très long terme de leur taux d’intérêt de référence. Il serait actuellement très hasardeux de se prononcer ou de faire une estimation tant la situation économique internationale est empreinte d’une très forte incertitude.

 

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